La sidérurgie cistercienne en Champagne méridionale et Bourgogne septentrionale à l’Epoque moderne (de la fin du XVe siècle à la Révolution française)
La sidérurgie cistercienne à l’époque moderne en Champagne méridionale et Bourgogne septentrionale s’intéresse à la production de fer dans des usines appartenant à quatre abbayes de l’ordre de Cîteaux : Auberive, Clairvaux, La Crête et Longuay. Elles possèdent la caractéristique d’avoir dès le XIIe siècle une activité sidérurgique. Si la période médiévale est bien connue, l’Époque moderne ne l’est quasiment pas. Pourtant, cet intervalle de trois siècles est fondamental. Il correspond à l’adoption par les moines blancs à la fin du XVe s. d’une nouvelle méthode de fabrication du fer, le procédé indirect et à son développement jusqu’à sa pleine maturité au XVIIIe siècle. L’apport du temps long est de pouvoir suivre pendant trois cents ans l’évolution d’une activité économique industrielle à travers un propriétaire unique. Il est ainsi possible d’appréhender dans son ensemble l’impact environnemental d’une innovation technique majeure. En effet, les abbayes cisterciennes vont mettre, en grande partie, à disposition des locataires de leurs forges et fourneaux leur patrimoine. Il est à la fois juridique, avec les droits sur l’eau, foncier avec les terres d’où est extrait le minerai, sylvicole, avec les vastes domaines forestiers et immobilier, avec les différents établissements sidérurgiques. Ce travail de recherche croise donc à la fois d’histoire des techniques, de l’environnement et économique. C’est une réflexion sur la consommation de matières premières et d’énergie d’un nouveau procédé de fabrication. Cette activité à des conséquences sociétales, économiques et environnementales par la transformation du milieu et sur les pollutions induites. L’approche reprend le traditionnel triptyque eau, bois et minerai de fer de la sidérurgie moderne. Ainsi, le procédé indirect réclame de nouvelles installations sidérurgiques qui nécessitent la force d’une énergie hydraulique pour faire tourner les roues. Les abbayes bâtissent donc un patrimoine sidérurgico-hydraulique sur l’eau. Les différentes usines (forges, hauts-fourneaux, lavoirs à mine, bocard) profitent de la maîtrise de l’eau cistercienne (aménagements hydrauliques et connaissance des sites) pour les installer. Cependant, leur confrontation avec la réalité, principalement les besoins concrets en énergie et les conflits, modifie ce patrimoine jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Le contrôle de cette énergie essentielle requiert un entretien permanent et couteux. La mise en place du nouveau système technique bouleverse aussi la consommation de matières premières. La principale d’entre elles, le bois, est utilisée comme matériau de construction et surtout comme énergie thermique dans les différents foyers du processus. Sa gestion, grâce à une sylviculture durable avec l’instauration d’une révolution des coupes, est soutenue par une politique forestière monarchique de plus en plus intrusive. Malgré l’ordonnance de 1669, le système atteint ses limites à la fin du XVIIIe siècle, quand se multiplient les tensions et se diffuse le sentiment d’une disette de bois. L’autre matière première sollicitée est le minerai de fer. Les techniques d’extraction assez simples à seulement quelques mètres de profondeur bouleversent les qualités pédologiques des sols et créer des tensions dans des communautés majoritairement agricoles. Néanmoins, l’activité est appuyée par une règlementation royale, dont les maîtres de forges profitent. Les abbayes cisterciennes soutiennent le développement du procédé indirect qui bénéficient de leur patrimoine, surtout forestier, et assurent jusqu’à 50 % de leurs revenus à la fin du XVIIIe siècle. La nouvelle méthode change en profondeur le rapport à l’environnement de la société, dont les cisterciens profitent en devenant des rentiers du bois grâce à leur immense domaine forestier. Cependant, la sidérurgie n’a plus de réelles spécificités cisterciennes, les abbayes se comportant comme n’importe quels autres grands seigneurs.
Mots-clés : abbaye, cistercien, procédé indirect, forge, haut fourneau, minerai de fer, sidérurgie, forêt, énergie hydraulique