Un « Empire de l’orange » ? Les fruitiers espagnol en France : étude transversale des réseaux commerciaux, migratoires et politiques (1878-1950).
À la faveur des mutations économiques et sociales dans la péninsule Ibérique à la fin du XIXe siècle, la culture de l’orange connaît un essor remarquable en Espagne. Porté par de nouvelles catégories sociales capitalistes tournées vers l’économie d’exportation, cet agrume devient un symbole de modernité agraire, en opposition aux vieilles cultures céréalières destinées au marché intérieur.
Dès 1878, dans le Pays valencien, Jaime Pesudo Oliver appelle à la constitution de réseaux commerciaux soutenus par l’État espagnol : infrastructures de transport, coopératives agricoles et présence d’agents sur les marchés étrangers. Ses propositions, reprises en 1910 par Manuel Lassala, restent lettre morte. Faute de soutien public, les producteurs développent une identité de self-made men, convaincus de la nécessité d’un commerce de l’orange « espagnolisé » de bout en bout, de la production à la distribution.
Ce projet prend corps en France, où des migrants majorquins, puis valenciens, s’établissent dès les années 1860, d’abord dans les ports du Sud, puis à Paris. Ils structurent une véritable filière migratoire fondée sur une organisation hiérarchisée de la production centré sur l’orange, qui devient pour certains un vecteur d’ascension sociale. En 1929, face à l’inaction de la Chambre de commerce espagnole, ils fondent l’Union fruitière espagnole en France, destinée à unir producteurs, importateurs et transporteurs dans le développement de la filière, avec ou sans l’appui de Madrid.
En 1930, opposés aux décrets protectionnistes de Primo de Rivera, ils se rapprochent de la mouvance républicaine, prenant le contrôle de la Chambre de commerce espagnole de Paris en 1931. Inquiets des tensions révolutionnaires, ils évoluent ensuite vers la droite, jusqu’à soutenir activement le camp nationaliste pendant la guerre civile et contribuer à la structuration de la Phalange à l’étranger.
Cette étude est dédiée à l’analyse transversale des réseaux du fruit et plus particulièrement de l’orange espagnole en France, dans leur qualité de réseaux commerciaux, de filières migratoires, mais également de leviers d’action politique. Son but est non seulement d’éclairer une composante méconnue de l’immigration espagnole en France, ainsi que le rôle de ces acteurs oubliés des relations commerciales, diplomatiques et politiques franco-espagnoles au XXe siècle.
Mots-clés : Commerçants, oranges, Espagne, France, Phalange, République, Réseaux, Valence, Majorque, Immigration, Filière