Soutenance de thèse de Mme Charlotte CUMER

Thèse de doctorat en Philosophie politique

Michel Foucault, le pouvoir de la vérité et la volonté de savoir

Notre travail de recherche s’attache à ressaisir des lignes de force dans la philosophie de Michel Foucault pour ce qui concerne le problème de la vérité qu’affronte une pensée qui sait son lien involontaire à la vérité, et s’anime d’un mouvement difficile de déliaison et de reliaison avec elle – une pensée qui se fait expérience, et qui se veut aussi savoir. “C’est cela le rapport difficile à la vérité, la façon dont cette dernière se trouve engagée dans une expérience qui n’est pas liée à elle et qui, jusqu’à un certain point, la détruit”, nous dit Foucault lors d’un entretien, ouvrant une manière de concevoir et d’expérimenter le philosopher. Pour suivre ces lignes de force, la trame de notre investigation est celle d’une volonté de savoir foucaldienne, dont nous retrouvons des expressions en circulant librement dans les textes de Foucault. Nous rappelons d’abord la délivrance du savoir, et l’antagonisme entre vouloir connaître et vouloir la vérité dans l’interprétation que déploie Foucault de Nietzsche, qui nous conduit à la volonté de savoir généalogique, en particulier lorsqu’elle découvre l’appartenance de la vérité à l’indéfini de la lutte et des rapports de forces en faisant sa propre généalogie. Elle valorise la subjectivité guerroyante qui se singularise dans ce fragment historique et intempestif de vouloir-savoir. Nous nous arrêtons ensuite sur le lien involontaire à la vérité qui n’est plus celui inextirpable du sujet traditionnel de la connaissance. A contrario, le pouvoir de la vérité est envisagé dans la perspective de l’assujettissement, pour rappeler la manière dont Foucault a problématisé le “tu dois” immanent à la vérité particulièrement dans son régime philosophico-scientifique, qui permet d’interroger le lien de la vérité à la valeur contraignante. Ce point nous amène à faire un détour par la philosophie de l’idiot de Léon Chestov, suivant la belle interprétation deleuzienne, et à la distinction que fait le penseur slave entre la vérité qui contraint et la vérité qui persuade, à partir de quoi nous retrouvons la dramatisation par Foucault de la contrainte oedipienne de notre discours vrai. Contrainte qu’il pervertit, pour déployer une volonté de savoir dans une histoire ouverte et événementielle, à travers ses discours historiques et fictifs qui renouvellent des points de polémique du réel. Ce savoir est en même temps une expérience, laquelle est liée à une forme de véridicité, dans une fidélité nietzschéenne, sans qu’elle s’y réduise. Le cheminement à travers ces jeux, points de lacune, investissements et perversions des dires-vrai et de leurs obligations, qui gravitent autour des rapports entre l’événement, le savoir et le pouvoir, apprécie une expérience singulière de pensée pour laquelle il ne doit jamais être “inutile de se soulever”. Notre recherche se termine avec les textes de Foucault sur le soulèvement iranien, qui rappellent le sens et la portée de ces déplacements, et mettent en lumière un point de la révolte et son irréductibilité plurivoque, à la fois dans l’histoire et “hors d’histoire”.

Mots-clés : Vérité, Volonté de savoir, Michel Foucault, Léon Chestov, Philosophie contemporaine, Soulèvement


Michel Foucault, the power of truth and the will to know

Our research focuses on recapturing lines of force in Michel Foucault’s philosophy concerning the problem of truth faced by a way of thinking that is aware of its involuntary link to truth, and is driven by a difficult process of disengagement and reengagement with it – a way a thinking that becomes experience and also seeks to be knowledge. “This is the difficult relationship with truth, the way in which it is engaged in an experience that is not linked to it and which, to a certain extent, destroys it”, Foucault says in an interview, opening up a way of conceiving and experimenting philosophy. To follow these lines of force, the framework of our investigation is that of a Foucaldian will to know, expressions of which we find by circulating freely through Foucault’s texts. We first recall the delivery of knowledge and the antagonism between the will to know and the will to truth in Foucault’s interpretation of Nietzsche, which leads us to the genealogical will to know, particularly when it discovers the truth’s belonging to the indefiniteness of struggle and power relations by creating its own genealogy. It values the warring subjectivity that stands out in this historical and untimely fragment of the will to know. We then focus on the involuntary link to truth, which is no longer the inextricable link of the traditional subject of knowledge. On the contrary, the power of truth is considered from the perspective of subjugation, recalling the way in which Foucault problematized the “you must” inherent to truth, particularly in his philosophical-scientific regime, which allows us to question the link between truth and binding value. This point leads us to take a detour through Leon Chestov’s philosophy of the idiot, following Deleuze’s beautiful interpretation, and to the distinction made by the Slavic thinker between truth that constrains and truth that persuades, from which we find Foucault’s dramatization of the Oedipal constraint of our true discourse. He perverts this constraint in order to deploy a will to know in an open and eventful history, through his historical and fictional discourses that renew points of controversy within reality. This knowledge is, at the same time, an experience, which is linked to a form of veracity, in a Nietzschean fidelity, without being reduced to it. The journey through these games, gaps, investments, and perversions of truth-telling and its obligations, which revolve around the relationships between event, knowledge, and power, appreciates a singular experience of thought for which it must never be “useless to rise up”. Our research concludes with Foucault’s texts on the Iranian uprising, which recall the meaning and scope of these shifts, and highlight a point of revolt and its irreducible plurivocity, both in history and “outside of history”.

Truth, Will to know, Michel Foucault, Léon Chestov, Contemporary philosophy, Uprising