Thèse de doctorat en Philosophie politique
« Le gouvernement de soi des femmes bihon face au “gouvernement dépendant de la famille” »
: une analyse centrée sur l’éthique de la non-dépendance et sur l’intimité comme espace de reproduction de la vie
S’inspirant des travaux de Foucault sur la gouvernementalité, cette recherche présente l’autoidentification comme « bihon (ne pas se marier) » dans la société sud-coréenne contemporaine comme une pratique féminine recherchant la citoyenneté universelle. Déclaré pour la première fois dans les années 1990, le « bihon » affirme la diversité des vies féminines, au mépris des politiques démographiques personnalisant le problème de la baisse de la natalité en rendant les femmes responsables, et s’impose comme une identité pour les femmes qui ne se marient pas. Nos entretiens approfondis avec des femmes sud-coréennes s’identifiant comme « bihon » nous ont permis de constater que les participantes à cette recherche, qui aspirent à devenir des individus égaux aux hommes dans une réalité sexuellement inégale, cherchent à devenir des citoyennes responsables, conformément à l’éthique néolibérale de la non-dépendance, en prenant le gouvernement des activités reproductives de leur corps, de leur vie quotidienne et de leur génération. Les participantes à cette recherche cherchent à surmonter les obstacles qui menacent leur vie individuelle, tout en s’appropriant les savoirs et discours dominants de la société, tels que la médecine, la psychologie et la gestion d’entreprise. En outre, elles élaborent des stratégies à la fois personnelles et financières pour pallier l’appréhension d’une vie précaire. Cependant, elles se trouvent parfois confrontées à des obstacles qu’elles ne peuvent surmonter de manière autonome. En réponse à ces défis, des participantes à cette recherche explorent des modalités d’intimité qui s’alignent avec la gestion de leur propre vie, tout en développant des relations d’intimité en dehors du cadre familial. Les participantes à la recherche mettent en pratique ce que nous appelons « l’usage de l’intime », une pratique qui cherche à établir un mode de vie alternatif et de divers liens civiques compatibles avec la reproduction de la vie, par opposition au « gouvernement dépendant de la famille » qui vise à faire en sorte que différentes activités telles que les pratiques affective-sexuelles, les soins et la reproduction des générations se déroulent dans le cadre de relations matrimoniales hétérosexuelles. Ainsi, elles réaffectent les ressources
destinées à la reproduction de la vie, en opposition à un type particulier de biopolitique qui cherche à réguler la production et la reproduction par le biais de modèles familiaux genrés. Dans la pratique féminine du « bihon » en Corée du Sud, l’éthique néolibérale, qui guide leur façon de nouer des relations avec les autres et de rechercher la satisfaction intime dans leur vie, se révèle avoir des possibilités aussi ambivalentes : l’éthique néolibérale permet à ces femmes « bihon » de s’opposer à la vie biopolitique qui privatise la reproduction de la vie, en faisant usage de l’intime qui reste pour elles toujours libre.
Mots-clés : néolibéralisme, famille, femmes, genre, intimité, biopolitique, gouvernementalité, autogouvernement, « bihon »
“Women’s self-governance in the face of ‘family-dependent governance'”
: an analysis focused on the ethics of non-dependence and intimacy as a space for the reproduction of life
Drawing on Foucault’s work on governmentality, this research presents self-identification as “bihon (not marrying)” in contemporary South Korean society as a feminine practice seeking universal citizenship. First declared in the 1990s, “bihon” affirms the diversity of women’s lives, disregarding demographic policies that personalize the problem of declining birth rates by making women responsible, and establishes itself as an identity for women who do not marry. Our in-depth interviews with South Korean women who identify as “bihon” revealed that the participants in this research, who aspire to become equal to men in a sexually unequal reality, seek to become responsible citizens, in accordance with the neoliberal ethic of non-dependence, by taking control of the reproductive activities of their bodies, their daily lives, and their generation. The participants in this research seek to overcome the obstacles that threaten their individual lives, while appropriating the dominant knowledge and discourse of society, such as medicine, psychology, and business management. In addition, they develop both personal and financial strategies to alleviate the apprehension of a precarious life. However, they sometimes encounter obstacles that they cannot overcome on their own. In response to these challenges, participants in this research explore forms of intimacy that align with the management of their own lives, while developing intimate relationships outside the family. Research participants put into practice what we call “the use of the intimate”, a practice that seeks to establish an alternative way of life and diverse civic ties compatible with the reproduction of life, as opposed to “family-dependent government”, which aims to ensure that different activities such as affective-sexual practices, care, and reproduction take place within the framework of heterosexual marital relationships. Thus, they reallocate resources intended for the reproduction of life, in opposition to a particular type of biopolitics that seeks to regulate production and reproduction through gendered family models. In the female practice of “bihon” in South Korea, the neoliberal ethics that guide their way of relating to others and seeking intimate satisfaction in their lives, is revealed to have equally ambivalent possibilities: neoliberal ethics allow these “bihon” women to oppose the biopolitical life that privatizes the reproduction of life, by making use of the intimacy that remains free for them.
neoliberalism, family, women, gender, intimacy, biopolitics, governmentality, self-government, “bihon”